La ligne Saint-Trojan - Maumusson ...

Gatseau Plage

En empruntant le p’tit Train de Saint-Trojan, vous serez surpris de découvrir sur les dunes qui dominent la baie de Gatseau, une stèle en pierre du Périgord (en hommage aux maquis de Dordogne), qui commémore le débarquement qui eu lieu à cet endroit précis, le 30 avril 1945. Chaque année, le 30 avril, une cérémonie réunie les anciens combattants autour de la stèle pour marquer le sacrifice des quelques 18 soldats morts pour la France en libérant l’Ile d’Oléron.

Un autre vestige subsiste, pour quelques temps encore (en raison de la très forte érosion qui le menace), à la pointe de Gatseau : il s’agit du blockhaus « Hase ». C’est l’histoire de ce débarquement méconnu qui vous est racontée :

L’Opération « Jupiter » - île d’Oléron – 30 avril au 1er mai 1945 :

Du 30 avril au 1er mai 1945 s’est déroulée sur l’île d’Oléron « l’opération Jupiter », une action militaire de débarquement maritime (3ème Débarquement de France), visant à libérer de l’occupation allemande, l’une des dernières poches d’occupation - après Royan et Le Verdon, libérées entre le 18 et le 20 avril 1945-, mais avant La Rochelle et Ré, délivrées le 8 mai 1945 - qui échappe encore à l’autorité du Général de GAULLE.

C’est lors de sa visite à Saintes, le 18 septembre 1944, que le Général de GAULLE ordonne au colonel Henri ADELINE, commandant FFI du secteur, de « faire en sorte que les combats de la côte atlantique finissent par une victoire française »*.

L’Occupation :

Installés sur l’île d’Oléron depuis le 29 juin 1940, en raison de sa position stratégique qui commande l’estuaire de la Gironde et les passes menant à la future base sous marine de La Pallice à La Rochelle, les Allemands ont eu tout le loisir d’organiser leurs défenses avec la construction de l’Atlantikwall. Dès 1942, contre un débarquement anglo-américain qui, comme en 1917, aborderait la côte Atlantique dans l’un de ses ports, puis à partir de 1944 contre un ennemi puissant qui viendrait du continent. Dans une directive du 17 août 1944 émanant du Führer lui même, Adolf HITLER engageait ses troupes « à tenir jusqu’au bout » à l’intérieur des derniers bastions de l’Atlantique.

Pour cela, plusieurs unités vont se succéder : les compagnies de pionniers du Pio.Btl.181 du hauptmann ENGELMANN de Rochefort bâtissent les premières positions légères (küstenwachen) à partir de 1941 ; entre mars 1941 et janvier 1942, certaines positions sont équipées de pièces d’artillerie et de projecteurs : 4 obusiers FH 18 de la 11/AR 181à Saint-Denis en 1942, 1 batterie de la Stellungs Batterie 130  avec quatre canons de 75 mm polonais FK 97 sur la plage du Douhet en novembre 1941, 2 batteries de 155 mm (Stellungs Batterie 406 et Stellungs Batterie 407) à Saint-Denis et Vertbois en janvier 1942 ; d’autres unités poursuivent les travaux, comme le Pio.Btl.327 de l’obersleutenant HUMBERT, le Fest.Pio.Stab.28 de l’oberst SCHULZ ou l’Organisation Todt de l’oberbauleitung PAULA. Cette structure composée d’ostarbeiter (prisonniers de guerre du front de l’Est), renforcée de réquisitionnés oléronais, charentais et vendéens a construit, dès l’été 42, sur les pourtours de l’île 32 stützpunkt (points d’appuis) et 42 positions de campagne, comportant pour certains des pièces d’artillerie allant de 75 à 155 mm. Cependant, seules 11 positions sont  réellement achevées en 1945. Ces ouvrages sont complétés sur les plages par des tétraèdres en béton, des éléments Cointet, des hérissons tchèques et des « pieux à Rommel », destinés à éventrer à marée haute d’éventuelles péniches de débarquement. Sans oublier les champs de mines qui constituent un deuxième rideau de défense.

La garnison allemande qui dépend du secteur de La Rochelle (vizeadmiral Ernst SCHIRLITZ), est commandée depuis janvier 1945 par le korvettenkapitän Alfred GRAF SCHILTZ VON GÖRTZ UND VON WRISBERG qui a succédé au korvettenkapitän Werner SCHÄEFFER (08/44 à 01/45), qui a lui même succédé au korvettenkapitän Louis LEISEWITZ (10/42 à 08/44). Le PC (Inselkommandantur) est situé avenue Bel-Air à Saint-Pierre d’Oléron. Elle comporte environ 2 200 hommes, dont 1 380 sont issus de la Kriegsmarine.

Ils appartiennent pour la plupart au leichte Marine-Artillerie-Abteilung 687 (Groupe d’artillerie côtière légère 687) commandé par le korvettenkapitän Werner SCHÄEFFER. Ce groupe d’artillerie comporte 3 compagnies mobiles d’intervention (soit 690 hommes, parmi lesquels se trouvent 40 russes, 50 polonais et 25 autrichiens) basées respectivement à Dolus, à Saint-Pierre et à Saint-Georges ; et 3 batteries d’artillerie (370 hommes). Les batteries comportent pour l’une, 16 canons de 75 mm hippomobiles et 6 obusiers de 155 mm Schneider, pour l’autre, la leichte schützen-kompanie (compagnie d’appui légère), 7 canons antiaériens de 25 mm et 11 mortiers de 81 mm, et enfin pour la dernière, une compagnie antichars dotée 12 PAK de 37 à 50 mm. 320 hommes dépendent du Marine-Flakartillerie-Abteilung 812 (Groupe naval d’artillerie antiaérienne 812) ou MaFla 812, appartenant à la Marine-Flak-Brigade V (dont le PC est à Saint-Nazaire), créé en mars 1942 entre les îles de Ré et d’Oléron, composée pour sa part, de 3 batteries (dont 2 de 75 mm Flak M 35 Vickers) et d’une demi compagnie de 6 projecteurs Siemens de 150 cm. L’ensemble est sous les ordres de l’oberleutnant KRÖNER. Enfin, les soldats de la 2 Komp / 3 Funk-Mess-Abteilung (2ème compagnie du 3ème bataillon de surveillance radioélectrique) servent les installations radar d’une portée de 60 kilomètres et transmission optique de la Pointe de Chassiron.

350 hommes dépendent de la Wehrmacht et servent soit au sein du Heeres Kotier Artillerie Abteilung 1280 (Groupe d’artillerie côtière de l’armée de terre 1280) du hauptmann MÜLLER. Il remplace depuis octobre 1944 le HAA 1180 du major SORG (parti renforcer le secteur de La Rochelle) qui comptait 4 batteries de tir (230 hommes) réparties au Douhet (1/HAA 1180), Saint-Denis (2-3/HAA 1180) et Chaucre (4/HAA 1180) ; les autres sont rattachés soit à la 6ème compagnie d’infanterie de forteresse du 80ème Corps (6/Festa LXXX) du hauptmann Günter JUNG (120 hommes), unité cycliste cantonnée également à Saint-Pierre, soit à la Fest Nachr Stab 2/6 (2ème compagnie du 6ème bataillon de transmissions d’état-major), installée à Saint-Georges.

Une compagnie de 163 Italiens (anciens sous-mariniers basés à Bordeaux), issus du bataillon San Marco, commandée par le tenante di vascello Massimo DI PACE, s’occupe principalement des tâches administratives et des servitudes au profit de leurs alliés, qui ne leur accordent qu’une confiance limitée depuis la capitulation de l’Italie. 

Le reliquat provient d’un renfort du Marine Regiment Zapp de La Rochelle (250 hommes), envoyé le 15 avril 1945, et de combattants ayant réussi à échapper à la capture, après avoir traversé le Pertuis de Maumusson le 18 avril 1945, lors des combats de Royan.

A la veille du débarquement, selon la propre estimation du korvettenkapitän SCHÄEFFER, les munitions sont suffisantes pour tenir 2 ans…mais le ravitaillement, 2 mois. De plus, le moral de la garnison allemande est très bas, puisque depuis plusieurs jours, les positions reçoivent quotidiennement un déluge d’artillerie. Plusieurs positions du nord et de l’ouest de l’île ont été démontées entre septembre et décembre 1944 pour être redéployées au sud et à l’est. Ainsi, les puissantes positions de la Pointe de Chassiron sont quasiment abandonnées, de faux canons en bois remplacent les vrais. Plusieurs positions enterrées, reliées par des tranchées et défendues par des mines et des barbelés sont réalisées en bordure des axes principaux qui relient les communes de l’île. Au total 32 000 mines ou engins piégés de tout type auront été posés sur Oléron.

La Résistance oléronaise, créée en juin 1942 sur la base du réseau de renseignement Centurie de l’OCM (Organisation Civile et Militaire), par le lieutenant DREUX, Pierre WIEHN et Robert ETCHEBARNE (ces deux derniers seront fusillés à Bordeaux le 11 janvier 1944), est décapitée par la Gestapo le 11 octobre 1943. En effet, ce noyau de résistants, remarquablement implanté, tant sur le plan géographique (du Château d’Oléron à Saint-Denis), que dans les milieux stratégiques (PTT, gendarmerie, administration, et même auprès de soldats russes servant dans l’armée allemande), possédait son propre dépôt d’armes à Saint-Just, à défaut de pouvoir le stocker sur l’île. Une probable dénonciation en vient à bout, le jour même de l’arrivée de la Gestapo sur Oléron et le dépôt d’armes (80 mitraillettes, 150 pistolets, 300 grenades à main et 150 grenades incendiaires) est démantelé le 4 novembre. Deux autres résistants seront arrêtés le même jour et déportés : Pierre BALLURET et Clotaire PERDRIAUX. Suite à cette rafle, deux groupes se reforment, l’un conduit par Anthony DUBOIS-FESSEAU, natif de Saint-Trojan, qui succède à Pierre WIEHN, et l’autre à l’initiative de Camille ROUDAT, natif de La Cotinière, et de Pierre JOGUET.

Suite au succès du débarquement de Normandie, les réseaux de résistance sont réactivés dès juillet 1944. Des réunions secrètes sont organisées à Dolus par un membre du réseau Libé-Nord, Henri BRANCHU.

A partir du début septembre 1944, plusieurs groupes de résistants issus principalement des maquis de Dordogne (Castel-Réal et Groupe Bernard  / Armée Secrète ; Brigade RAC, Corps franc Roger et Corps franc Roland / Armée Secrète de Dordogne ; Compagnie Franche Gambetta / Armée Secrète de Haute-Vienne) réorganisent les réseaux actifs et installent des postes émetteur-récepteur à Dolus et à La Chevallerie. Un quartier général de la Résistance est établi à Saint-Pierre, à La Laudière. Marcel PERAUD, chef de gare à Saint-Pierre en prend la direction.

Le 10 octobre 1944, une nouvelle rafle est opérée par des SS en provenance de La Rochelle. Ils recherchent les résistants, les armes et une équipe de 11 instructeurs, commandés un sous lieutenant, qui forme la mission Bickford chargée de les encadrer. Deux cents hommes environ sont arrêtés et enfermés à la Maison Heureuse (ancienne Ecole des Torpilles de Boyardville). Parmi eux, deux membres de la mission Bickford, sont internés à la citadelle du Château d’Oléron : le maréchal des logis chef Joël BUSSAC (qui parviendra à s’évader) et René NOMME. Les autres sont exfiltrés en urgence vers Marennes. Pourtant, à cette époque 17 groupes de résistants sont recensés dans toute l’île, équipés de stations radio.

Le 15 décembre 1944, le lieutenant DREUX, Raymond GRANDSARD de Saint-Pierre et FOUCAULT de Chaucre sont également exfiltrés par la Résistance sur le continent ; le 18 décembre 1944, 262 personnes, dont une centaine de la Cotinière, sont arrêtées et interrogées. Certaines sont emprisonnées à la citadelle du Château-d’Oléron ou déportées sur l’île de Ré. Le 7 janvier 1945, tous les gendarmes d’Oléron sont désarmés et emprisonnés. Le 11 janvier 1945, 200 habitants sont expulsés sur La Rochelle.

En avril 1945, Emile SCHWARTZ, de Boyardville, adjoint de Marcel PERAUD dit « Daphnée-Renée », est désigné comme chef de la Résistance sur l’île. Il reçoit un mois plus tard, le 16 avril, une importante livraison d’armes légères (216 mitraillettes Sten et des munitions) afin d’équiper ses 216 partisans du « groupe Pré-Salé ». Au cours d’une réunion organisée le 24 avril 1945 à La Cotinière, le capitaine de corvette Lucien FOURNIER assigne les objectifs à la résistance oléronaise : il faudra le jour J, neutraliser les liaisons téléphoniques, détruire les transports et les estafettes et fournir des guides aux troupes régulières.

 

Les préparatifs :

Le 7 septembre 1944, le secteur de Marennes-Bourcefranc est investi par différents groupes de FFI. A partir du 12 septembre, le front se fige.

Le 14 octobre 1944, le général de Corps d’Armée Edgard de LARMINAT a été nommé commandant du Détachement d’Armée de l’Atlantique (DAA), comportant 25 740 hommes répartis en trois secteurs, La Rochelle, Royan et La Pointe de Grave, formant les Forces Françaises de l’Ouest (FFO).

Le 18 octobre 1944, une entrevue est organisée au Chapus entre l’Inselkommandant Werner SCHÄEFFER et les FFI menés par le colonel ADELINE au sujet de la reddition de la garnison allemande d’Oléron. C’est un échec, car les allemands refusent de se rendre à des maquisards.

Le 8 novembre 1944, 6 prisonniers allemands sont capturés de nuit sur un blockhaus de La Perrotine. A cette époque, un plan de libération de l’île d’Oléron est établit par le service Marine de Rochefort, pour un débarquement sur la plage des Saumonards à Boyardville. Le projet est rapidement abandonné en raison du minage effectué par les allemands dans l’hiver 44-45.

Le 1er décembre 1944, le lieutenant-colonel Henri MONNET, chef de corps du 158ème R.I, intègre les trois corps francs d’Elie ROUBY, de Camille ROUDAT et d’Anthony DUBOIS-FESSEAU, ainsi que le groupement gersois Armagnac du capitaine Maurice PARISOT dans un Groupe Franc Marin Armagnac au sein du 158ème R.I.

Le 10 décembre 1944, une patrouille du corps franc marin Armagnac dans l'île d'Oléron, fait des prisonniers dont  un interprète de Saint-Trojan-les-Bains.

Le 11 février 1945, la 23ème Division d’Infanterie est officiellement créée.

Le 13 mars 1945, la « Division de marche Oléron », confiée au général de Brigade René MARCHAND a été mise sur pied. Elle est composée pour l’infanterie de 3 bataillons du 158ème R.I (ex brigade de l’Armagnac ; ex bataillon de Bigorre PARISOT / FFI ; ex Compagnie Franche Gambetta du capitaine Elie ROUBY), de 2 bataillons du 50ème R.I (ex brigade RAC / FFI ; ex bataillon Roland), d’un bataillon du 131ème R.I (ex maquis de Mussy Grancey dans l’Aube), du 6ème Bataillon Porté de Tirailleurs Nord-Africains (6ème B.P.T.N.A composé de nord africains libérés des camps de Gironde), du Bataillon de Fusiliers Marins de Rochefort (ex Corps Francs Marins / FFI), du Groupe Franc Marin Armagnac (ex corps francs « Marennes et Seudre » de Lucien LECLERC, Camille ROUDAT et Antony DUBOIS-FESSEAU), du 18ème Régiment de Chasseurs à Cheval (ex escadron Urbain ; ex groupe Klein) et du Corps Franc d’Aviation « Le Gaulois ». La presque totalité des recrues est issue des maquis, l’armée régulière étant absorbée par les combats dans les Vosges.

Des dissensions apparaissent très vite entre l’état major du général MARCHAND et le chef de corps du 158ème R.I, le lieutenant-colonel Henri MONNET, soucieux d’épargner au maximum la vie de ses hommes. Pour couper court au récalcitrant, le lieutenant colonel René BABONNEAU, officier d’active qui a servi dans les rangs de la Légion Etrangère, est nommé chef de corps du 158ème R.I., mais n’ayant aucune prise sur les hommes, il demande à son prédécesseur de garder son poste, en lui proposant de devenir son conseiller technique.

Le 24 avril 1945,  le général de Corps d’Armée Edgard de LARMINAT établit à Cognac dans son ordre d’opérations n° 9, le plan d’exécution pour la libération d’Oléron.

Le débarquement maritime initial est prévu pour le 29 avril, mais les conditions météorologiques reporteront l’opération de 24 heures. Entre temps, 24 péniches américaines de type LCVP (Landing Craft Vehicle Personnel) sont livrées par voie ferrée à Rochefort, puis acheminées (entre le 22 et le 26 avril) par le canal Bellevue de la Charente à la Seudre jusqu’à Marennes.

Les Forces Aériennes de l’Atlantique (FAA), placées sous le commandement du général de Brigade Edouard CORNIGLION-MOLINIER,  qui avaient été créée à Cognac en mars 1945 comptent les groupes de chasseurs bombardiers 1/18 « Vendée » (15 Dewoitine 520 et 7 Douglas A 24 Dauntless) et 2/18 « Saintonge » (29 Spitfire Mk V), le groupe de bombardement 1/31 « Aunis » (12 Junkers 88Aet divers appareils de récupération), le groupe de reconnaissance 3/33 « Périgord » (24 Fieseler Storch et 3 Siebel 204).

Elles sont renforcées du Groupe Aéronaval n° 2 (G.A.N 2) du capitaine de frégate Francis LAINE, équipé de 21 Douglas SBD 5, et du 26th squadron de la R.A.F, équipé de 20 Mustang.

A la mi-mars 1945, les Douglas SBD 5 du G.A.N 2 incendient le dragueur côtier allemand FO 15 au moment de son évacuation vers La Pallice. En revanche, Les FO 21 et 24 s’échappent à la faveur de la nuit.

Le 14 avril, lors de l’opération Vénérable (libération de Royan), quelques missions de diversion sont menées par des équipages des 1ère US Tactical Air Force (Saint-Dizier) et 8ème US Strategical Air Force (Grande-Bretagne) sur les batteries de Saint-Trojan et de La Perrotine.

Le 17 avril dans l’après-midi, les bombardiers moyens bimoteurs Martin B26C Maraudeur  américains de la 8ème Air Force bombardent le secteur du Château, touché par 96,5 tonnes de bombes

Le 19 avril, 10 Ju88 du groupe Aunis bombardent La Perrotine, le poste de commandement de Saint-Pierre, la Pointe de Gatseau, et de nouveau la citadelle du Château, ainsi que Boyardville.

Le 23 avril, la batterie de la Giraudière reçoit 31,5 tonnes de bombes larguées par 10 Ju 88 et 24 Douglas SBD, tandis que la Pointe d’Ors (poste d’écoutes) est attaquée par 12 Spitfire en piqué. Le 28 avril, 12 Ju 88 bombardent la batterie Flak de La Perrotine à Boyardville avec 19 tonnes de bombes, tandis 12 Spitfire traitent celle de Saint-Pierre.

La 13th Field Artillery Brigade (13ème brigade d’artillerie U.S) commandée par le Brigadier General BANK, composée des 999th FAB, 235th FAB, 514th FAB et 257th FAB (Field Artillery Battalion) entame le même jour le pilonnage systématique des positions allemandes à l’aide de ses obusiers de 155 et 203 mm.

De même, une « French Naval Task Force », commandée par le contre amiral Joseph RÜE a été constituée précipitamment en Angleterre le 12 avril 1945 pour fournir un appui aux troupes au sol depuis le croiseur Duquesne, les torpilleurs Fortuné, Basque et Alcyon, les escorteurs Aventure, Surprise, Découverte, Hova, le groupe de dragueurs de mines Amiral Mouchez et la 31st (Canadian) Minesweeper Flotilla. Ces bâtiments croisent à partir du 27 avril au large de la côte Ouest de l’île, et engagent les positions bétonnés grâce aux 4 tourelles de 203 mm du croiseur Duquesne (700 coups tirés), guidé par les avions du G.A.N 2.

Le 25 avril 1945, deux groupes de résistants commandés par le capitaine LECLERC sont infiltrés dans l’île avec des moyens radio afin de renseigner sur les positions, les mouvements de l’ennemi et coordonner les actions de sabotage (coupure des lignes téléphoniques, destruction des moyens de transport et mise en place de barrages aux carrefours). Le même jour, le 1er groupe du 12ème Régiment d’Artillerie prend position aux abords de la plage de Marennes.

Le 29 avril 1945, lors d’une réunion d’Etat-Major qui s’est tenue à Marennes de 21 h 00 à 21 h 30, le général de LARMINAT confirme l’opération Jupiter pour le lendemain dès 6 h 00. A 2 h 00, une messe célébrée en l’église de Marennes par l’abbé Louis DUPIN de SAINT-CYR (frère cadet du commandant du BFMR) réunit les soldats qui vont débarquer dans quelques heures. A 2 h 45, les 675 hommes de la première vague d’assaut sont près à être embarqués.

 

Journée du 30 avril 1945 :

Le lundi 30 avril à 4 h 56 du matin, l’opération « Jupiter » est lancée. 24 LCVP commandés par le lieutenant de vaisseau TANAN (US Army), 22 DUKW (camions GMC amphibies), arrivés à Marennes la veille en provenance du Havre, et 42 bateaux de pêche, originaires de Marennes, du Galon d’Or, de Port-Lambert, d’Arcachon et de Saint-Jean-de-Luz, constituant quatre éléments de vague, espacés de 5 minutes, s’élancent du port de la Cayenne à Marennes, guidés par des pêcheurs oléronais et se mettent en attente à l’embouchure de la Seudre.

La préparation d’artillerie commence aussitôt par le tir des 168 pièces de 90 mm à 220 mm de la 13ème brigade d’artillerie U.S (appartenant à la VIème Armée du général DEVERS), renforcée de 6 batteries du 1er Régiment de Canonniers Marins et d’une batterie du 16ème Groupe de FTA (Forces Terrestres Antiaériennes). Les batteries sont réparties entre La Tremblade et Marennes et arrosent le secteur de la pointe de Gatseau à la pointe Manson. A 5 h 00, un message radio adressé au PC de La Laudière informe les 17 groupes de résistants de passer à l’action. De nombreux câbles téléphoniques, surtout dans le nord de l’île sont sectionnés.

A 5 h 50, les 7 premiers LCVP s’élancent enfin. A 6 h 02, alors que la température extérieure atteint -6°, la première vague d’assaut aux ordres du lieutenant de vaisseau Joseph DUPIN de SAINT CYR, aborde la plage de Gatseau dans un nuage de fumigènes, sous le feu ennemi d’un groupe de combat commandé par l’oberleutnant Klaus MARX, légèrement à l’ouest de la maison du canot de sauvetage, à l’emplacement de l’ancienne base américaine d’hydravions, construite en 1917. Les sapeurs de la section de déminage du capitaine PERRET (3/151ème Génie) créent deux brèches dans les champs de mines. Aussitôt s’engouffrent 2 compagnies de fusiliers marins commandées par le lieutenant de vaisseau Michel FOUCHIER, qui se dirigent vers le préventorium de Lannelongue et la Maison de Sauvetage (Hummel), et les fantassins du 2ème bataillon du 50ème RI, commandé par le capitaine Jean-Marie POITEVIN, qui sont chargés d’investir la pointe sud de l’île. Les tirs d’artillerie sont allongés de 400 m, tandis que l’artillerie allemande reste muette. Le blockhaus Ro 506 Hase de la pointe de Gatseau est investi, mais la position est vide. Les fusiliers marins des 1ère et 2ème compagnies n’ont pas chômé, s’emparant de la Maison de Sauvetage comportant 30 hommes, 2 pièces de 155 mm et 2 pièces de 75 mm. A 6 h 07, le deuxième élément de la première vague d’assaut est débarqué à son tour, environ 600 m à l’est des premiers éléments en raison du courant et des fumigènes qui masquent la zone.

A 6 h 15, une nouvelle vague d’assaut, commandée par le lieutenant colonel Gabriel TERMIGNON, transportant les 250 hommes du 3ème bataillon du 158ème RI (ex 1er Régiment du Gers / FFI), débarque sur l’île à son tour, rapidement rejointe par les sections de mitrailleuses lourdes et des groupes de mortiers. Elle établie la jonction avec les fusiliers marins à Lannelongue. A 6 h 20, des tirs ennemis balaient la plage et la lisière de la forêt. Ils proviennent d’une pièce de 20 mm Flak 30 sur roue qui est réduite au silence peu après par des éléments de la compagnie LELONG du 50ème R.I. A 6 h 35, deux Spitfire du groupe Saintonge bombardent le blockhaus de La Giraudière. A 6 h 30, la dernière vague d’assaut comportant le 3ème bataillon du 50ème RI arrive à son tour, suivie du service sanitaire et des véhicules légers.

En 45 minutes, 675 hommes (3 vagues d’assaut) ont été débarqués pour établir une solide tête de pont. On déplore malheureusement la perte de 6 hommes (2 officiers mariniers, pilotes de LCVP, 2 soldats du 158ème R.I morts de leurs blessures, ainsi que l’adjudant Gaston HOUPERT** et le 2ème classe Sylvain CASSOU du 50ème RI) pour plusieurs blessés. Peu après 8 h 00, six Douglas SDB 5 du G.A.N (Flotille 3 FB) poussent une reconnaissance jusqu’à La Pallice pour s’assurer que des renforts ne sont pas acheminés. Ce n’est pas le cas, tous les bâtiments du port sont bas les feux. Au retour, malgré le plafond bas et le crachin, la batterie de flak au nord de Saint-Pierre est attaquée. Une erreur d’objectif va malheureusement faire des victimes civiles dans la population demeurant dans le quartier des Allées.

A 7 h 30, la tête de pont est solide, s’enfonçant de 2 kilomètres dans la forêt de Saint-Trojan, à la lisière sud-ouest des Brys. Les renforts continuent d’affluer, le poste de commandement de l’infanterie divisionnaire débarque à 7 h 45 et s’établit au château d’eau du sanatorium.

A 8 h 00, la « French Naval Task Force » entre en action et pilonne les positions ennemies sur toute l’île.

A 9 h 30, à la fin de la marée, 8 tonnes de munitions d’infanterie, 4 Dodges, 2 Jeeps et 1 Nebelwerfer (lance roquettes multiple de 150 mm) ont été débarqués et près de 2 400 hommes (50ème, 158ème et 131ème bataillons d’infanterie, 6ème BPTNA) sont en état de combattre. La progression peut commencer. Deux groupements sont constitués : le «groupement Ouest » du lieutenant colonel Rodolphe CEZARD, alias « RAC », qui comprend les 2ème et 3ème bataillons du 50ème RI commandés par les chefs de bataillon « Roland » CLEE et René TALLET dit « Violette » (maquis A.S de Dordogne Nord), le bataillon de fusiliers marins de Rochefort du lieutenant de vaisseau DUPIN de SAINT CYR, une compagnie du 151ème Régiment du Génie et de 2 groupes de 75 mm du 32ème Régiment d’Artillerie, reçoit la mission de progresser sur trois axes, le long des palissades, à travers la forêt de Saint-Trojan jusqu’à l’isthme des Allassins ; le « groupement Est » du lieutenant colonel MONNET, composé de 3 bataillons du 158ème RI, d’une compagnie du 151ème Génie et du 1er groupe de 75 PAK 40 (antichar) du 12ème Régiment d’Artillerie (ex réseau de résistance Z de Royan), doit s’emparer des blockhaus de la Pointe de Menson au sud de Saint-Trojan (l’objectif sera atteint à 10 h 00, une trentaine de prisonniers seront faits), puis progresser vers le centre bourg de Saint-Trojan en contrôlant les accès vers le Château-d’Oléron.

A 10 h 15, la position Huhn de la pointe de Menson est investie sans combat par le 3ème bataillon du 158 ème R.I, dix allemands sont capturés.

A 12 h 00, le centre de Saint-Trojan est libéré par le 3ème bataillon « R » / 158ème R.I du commandant Louis DORBES du groupement Est, tandis que Saint-Trojan-Plage est atteint par le groupement Ouest qui, malgré la pénibilité de la progression à travers bois, ne rencontre qu’une faible opposition à la Maison Forestière. Dans le même temps, le premier char Somua S 35 est débarqué à la cale de Lannelongue.

A 12 h 40, le 4ème escadron du 18ème Chasseurs à Cheval et 18 de ses chenillettes Bren Carrier est à pied d’œuvre à Lannelongue, aussitôt suivi des Bren Carrier du 158ème R.I (4) et de celles du 6ème B.P.T.N.A débarquées à 14 h 00. En forêt, la section COURANT de la 9ème compagnie du 50ème R.I se heurte à une violente résistance au niveau de la maison forestière des Brys. 50 allemands retranchés bloquent la progression, mais finalement 10 sont tués et 40 capturés.

Vers 13 h 00, l’isthme des Allassins est pratiquement atteint, mais en amont de Grand-Village, entre la route départementale 126 et la côte Ouest, un immense champ de mines (800 m x 1000 m) érigé pendant l’hiver 44, derrière lequel se sont retranchés des Allemands, bloque la progression. A l’est, le dédale des marais salants prolonge cet obstacle infranchissable. Trois hommes (André PARINET, Vincent PEDRINI et Roger MAIGROT) de la 10ème compagnie du 50ème RI sont tués et plusieurs gravement blessés.

Des mortiers et des mitrailleuses lourdes sont engagés pour déloger l’ennemi, mais il faudra l’intervention de 86 bombardiers B26C Marauder, du 42nd US Bomb Wing de la 1th Tactical Air Force, pourvus de 103 tonnes de bombes à fragmentation, entre 16 h 00 et 16 h 50, pour neutraliser définitivement le champs de mines et enfin reprendre la progression. Les bombardiers vont inaugurer à cette occasion le procédé shoran qui permet un bombardement précis et sans visibilité grâce à des balises radio faisant écho, implantés au sol.

Vers 17 h 00, les fusiliers marins s’installent aux Allassins, au nord de Grand-Village, où ils reçoivent des tirs de la batterie Ro 541 Kater de la plage de La Giraudière. Celle-ci qui engendre la perte de 3 fusiliers marins et 7 blessés, occasionne la réplique des mortiers des fusiliers marins et nécessite l’envoi des deux compagnies du 6ème BPTNA du commandant Marcel GOVYS pour assurer la protection immédiate du village. La 9ème compagnie du 3ème bataillon du 50ème R.I parvient à museler la batterie de La Giraudière et y capture 7 allemands. Le hameau du Trillou est occupé vers 18 h 00.

Le groupement Est de son côté atteint Le Château-d’Oléron au moment où les commandos du capitaine Adrien CAPIN (1er bataillon du 158ème R.I) sont débarqués pour tenir Ors. La progression vers Dolus se poursuit, la position Lerche à La Dresserie est évitée, mais celle de la pointe d’Ors, Ro 503 Hermelin avec sa pièce de 75 mm, sa pièce de 47 mm, sa mitrailleuse et ses 10 servants, est capturée. A 19 h 50, les éléments de reconnaissance du 18ème Chasseurs qui s’étaient avancés jusqu’aux portes de Dolus sont attaqués à La Dresserie et doivent se replier, mais les résistants qui ont entamés la réduction du poste de commandement de Saint-Pierre sont galvanisés et poursuivent leurs actions de guérilla. Le Château est cependant libéré vers 20 h 00.

A 20 h 30, une forte contre attaque allemande menée par une compagnie d’intervention allemande basée à Dolus, équipée de mortiers, de lance grenades, de mitrailleuses et de 2 pièces de 75 mm, s’exerce sur les fusiliers marins installés à Trillou et aux Allassins. Ceux-ci, qui enregistrent 4 morts et 10 blessés, se replient sur Grand-Village où ils sont renforcés d’une compagnie de réserve du 6ème BPTNA. Une nouvelle attaque est portée par les marins sur Petit Village afin d’élargir leur périmètre de sécurité, les allemands refluent.

A 23 h 00, le 2ème bataillon du 158ème R.I atteint La Gaconnière, tandis que des éléments de résistants commandés par le capitaine LECLERC s’installent en sûreté à La Menounière.

Le 30 avril 1945, à la fin de la première journée, «Jupiter » est un véritable succès : sur les 8 882 combattants français qui seront engagés tout au long des 2 jours de l’opération, 3 200 ont été débarqués ; le matériel lourd -dont 5 chars Somua S 35 du 1er escadron du 13ème Régiment de Dragons commandé par le lieutenant de CHALEMBERT (transportés sur des pontons spéciaux construits par le 92ème Génie) et les 18 chenillettes Bren Carrier du 4ème escadron du 18ème Régiment de Chasseurs à Cheval, commandé par le lieutenant Jacques de FLEURIEU- a été acheminé malgré la destruction d’un LCVP ; l’artillerie a tiré 12 345 obus et l’aviation qui a effectué 326 sorties a largué 375,5 tonnes de bombes.

Le total des pertes humaines françaises s’élève à 18 tués et 55 blessés, ainsi que 6 civils décédés. La Division Oléron a capturé 180 prisonniers et la Résistance (réseau « Pré-Salé »), 212, qui seront acheminés tout au long de la journée sur la plage de Gatseau. Elle a, de plus, effectué de son côté de nombreux sabotages. 

 

Journée du 1er mai 1945 :

Vers 1 h 00 du matin, les 207 membres du commando FOURNIER, composé des ex corps francs marins « Antony DUBOIS », « Camille ROUDAT » et «Marennes et Seudre » (capitaine Elie ROUBY), regroupés au sein du « Groupe Franc Marin Armagnac » (GFMA), débarquent à La Vieille Perrotine, entre deux positions allemandes. La flottille de 16 embarcations locales qui les a transporté provient du Chapus. Deux colonnes, formées par le capitaine de corvette Lucien FOURNIER et le capitaine Jean POIRIER, progressent, l’une en direction d’Arceau et de La Cotinière (pour faire jonction avec le capitaine LECLERC qui a demandé du renfort), tandis que l’autre se dirige vers Les Allards, le long du chenal d’Arceau et Dolus (atteint à 5 h 00 mais libéré à 10 h 00). Quelques soldats allemands postés dans les cabanes ostréicoles tentent de contrarier la progression le long du chenal d’Arceau, par des tirs de mitrailleuses qui font 3 blessés, mais une salve de mortiers les délogent. Le GFMA effectue la jonction avec le 2ème bataillon du 158ème R.I vers 11 h 00, à la Gaconnière. Il a réduit au cours de la journée les positions ennemies de Méré (5 h 30), La Rémigeasse (à 11 h 00, où la liaison avec la 7ème compagnie du 50ème R.I est effectuée), Pierre-Levée et Moulin des Landes. Cette unité effectuera à elle seule près de 600 prisonniers.

A 8 h 00, la progression des groupements CEZARD et MONNET a repris depuis Grand-Village après une préparation d’artillerie des batteries des 12ème et 32ème RA (250 obus), auxquelles s’est joint le Nebelwerfer du capitaine ARENE (40 roquettes). Les Allemands qui tenaient les positions des Allassins se sont repliés durant la nuit.

Vers 11 h 30, la 7ème compagnie du 50ème R.I (bataillon Violette) est accrochée par une mitrailleuse à La Rémigeasse. Le soldat Marcel NORMANDIN, originaire de Bourcefranc est atteint de plein fouet, il décède sur le coup. Il sera le dernier mort Français de l’opération Jupiter.

A midi, La Cotinière est libérée, peu après que la batterie côtière Ro 512 Mammuth ait été prise par l’assaut de la section POIRIER du GFMA et le groupe de résistants du capitaine LECLERC.

A 13 h 00, un nouvel accrochage avec des allemands barricadés dans une villa de La Rémigeasse est signalé. Huit hommes du Commando FOURNIER épaulés par deux du Commando ROUDAT réduisent la position.

Les chenillettes du 18ème RCC et un peloton de chars du 13ème Dragons commandé par le capitaine Christian d’ABOVILLE progressent vers Saint-Pierre, en appuie du 2ème bataillon du 131ème RI. Le capitaine BOURGUIGNON, accompagné de volontaires, lance une attaque contre l’Inselkommandantur. Ils font prisonniers une vingtaine d’officiers, dont le commandant militaire de l’île, une trentaine de sous-officiers, qu’ils enferment aussitôt dans le cinéma. A 14 h 30, la ville est prise.

Un officier allemand accepte alors, après bien des tergiversations, de donner l’ordre de reddition à l’ensemble de ses troupes cantonnées dans le nord de l’île. Deux chenillettes de parlementaires munies d’un drapeau blanc sont affrétées avec des officiers Allemands et Français ; elles obtiennent l’arrêt des combats à Chaucre aussitôt occupé par le 2ème bataillon du 131ème R.I, Saint-Georges où s’installe le 2ème bataillon du 158ème R.I (16 h 30), aux Boulassiers  et à Cheray cernés par le 13ème Dragons (16 h 30), au Douhet, à Saint-Denis (17 h 30), pris par le 1er bataillon du 32ème R.A et le 2ème bataillon du 131ème R.I et à Chassiron, investi par le 6ème BPTNA (18 h 00). Environ 500 allemands déposent les armes dans le bois Boultoir près de Cheray. Cependant les garnisons des Saumonards et de Boyardville refusent de rendre les armes.

Grâce à la complicité du feldwebel BAGGER, le groupe du résistant Emile SCHWARTZ réussit à neutraliser les 11 mines armées destinées à détruire le port de Boyardville et s’empare du coup du pont tournant sur le port. Pendant 5 heures de violents combats, mettant aux prises les hommes du 3ème bataillon du 158ème R.I du commandant DORBES à des Allemands fortement retranchés et disposant de munitions en nombre suffisant, se déroulent autour des deux derniers forts avant que vers 20 h 15, l’ennemi accepte de capituler. Les dernières escarmouches ont lieu autour du fort des Saumonards, encerclé par le 3ème bataillon du 158ème R.I, qui finit par capituler vers 22 h 00. La conquête de l’île d’Oléron est achevée.

Au soir du 1er mai, le bilan de l’opération Jupiter s’établit comme suit : sur les 8 882 combattants français engagés, on déplore 18 tués et 56 blessés ; les Allemands ont perdu une cinquantaine d’hommes pour 60 blessés et 1 700 prisonniers (dont 40 officiers). 50 pièces d’artillerie ennemie ont été capturées. L’artillerie alliée a tiré plus de 27 874 obus alors que 800 tonnes de bombes ont été lâchées par l’aviation.

* De Gaulle – « Mémoires de guerre » tome III.

** Gendarme de la brigade de Piégut-Pluviers en Dordogne.

Bibliographie :

-          « Charente-Maritime Vendée 1939-1945 », ouvrage collectif d’Eric BROTHE, Alain CHAZETTE et Fabien REBERAC aux éditions Patrimoines Médias (1997).

-          « La Libération de l’île d’Oléron », ouvrage collectif de Christian GENET, Alain CHAZETTE et Bernard BALLANGER aux éditions La Caillerie-Gémozac (1995).

-          « La Libération de l’île d’Oléron », de Christian GENET, brochure n° 46 de « Nos Deux-Charentes en cartes postales anciennes (1988).

-          « La Libération du Sud-Ouest et des Charentes », de Dominique LORMIER aux éditions Les Chemins de la Mémoire (2003).

-          « La Libération des deux Charentes – Soldats en sabots », de Christian GENET aux éditions La Caillerie – Gémozac (1985).

-          « La Charente dans la Seconde Guerre mondiale – Dictionnaire historique », de Guy HONTARREDE aux éditions Le Croît Vif (2004).

-          « Occupation, Résistance et Libération en Charente-Maritime en 30 questions », de Christiane GACHIGNARD publié à Geste Editions (2000).

-          « Les cahiers d’Oléron – entre ciel et mer – histoire aéronautique de l’Ile d’Oléron » n° 2-3, de Patrick-Xavier HENRY (1982).

-           "L’île d’Oléron face à la Deuxième Guerre mondiale, le conflit international vu à travers une petite île française de la côte atlantique, 29 juin 1940 - 1er mai 1945", mémoire de Master 2 sous la direction de Laurent Vidal, de Stéphane CALONNEC (2009).

 

 

 

LA LÉGENDE D'ANCHOINE

(Extraits de « Devant Cordouan. Royan et la presqu'île d'Arvert », par Paul DYVORNE, Editions Delmas, paru en 1934)


Alors qu'Oléron tenait encore au continent par une large bande de rochers, allant d'Ors à la pointe du Chapus, la Seudre se déversait dans une baie dont les eaux calmes baignaient l'île d'Armotte. L'aspect de la côte saintongeaise, à cette époque lointaine, était bien différent de celui qu'elle présente aujourd'hui. La « baie d'Anchoine » - ainsi s'appelait le rivage qui est devenu le pertuis de Maumusson - était un vaste lac, communiquant vers l'ouest avec l'Océan. Ce n'est que beaucoup plus tard, quand furent emportés les rochers du Chapus par les courants, que le passage de Maumusson s'élargit, que l'île d'Arvert, ou d'Allevert, se forma au sud de celle d'Armotte, disparue.

Quand les peuples d'Orient envahirent la Gaule, plusieurs tribus descendirent le cours de la Garonne jusqu'à l'Océan. Ce sont des Phéniciens qui, voyant une baie profonde, à l'abri d'un promontoire, firent voile vers l'île d'Armotte. On sait qu'ils étaient des navigateurs hardis, les véritables princes des mers. En abordant sur le littoral, en entrant dans un golfe que les marées ne paraissaient pas agiter, ils comprirent que c'était là un point propice aux trafics maritimes. L'île d'Armotte était presque entièrement couverte de bois, ne présentant aucune difficulté d'approche, son sol paraissait fertile, il serait aisé de créer, sur cette terre isolée, un petit port de pêche et d'y vivre en toute tranquillité. La tribu en prit possession et, après quelques années, une ville modeste y était construite qui s'appela successivement, Sanchoniate, du nom du chef de la tribu, puis, Anchoniate, Anchoine.

L'île d'Armotte se peupla peu à peu, mais, après deux siècles d'occupation, les Phéniciens en furent chassés par les peuples migrateurs qui se ruaient sur l'Occident. Anchoine vit venir des Celtes, des Ibères, sans que son importance maritime eût trop à en souffrir. Le pays était salubre, les pêcheries productives, il n'en fallait pas davantage pour retenir les nouveaux venus. Plusieurs tribus celtiques prirent possession des îles de la rive gauche de la Seudre, cependant que les Ibères traversaient la mer pour se diriger vers les Pyrénées. Une immense forêt couvrait le plateau séparant le cours de la Seudre des eaux du golfe. Cette forêt, qui existait encore au Moyen Age sous le nom de forêt de Satiste, se continuait sur le territoire d'Armotte. A la pointe ouest de cette île, Anchoine abritait des familles gauloises, jalouses de leurs traditions, de leurs croyances, de leurs mœurs. Ce sont elles qu'on trouve à la base de l'arbre généalogique des Santons.

Les druides, les prêtresses, entretenaient chez les Santons le fanatisme et les superstitions. Ils développaient en eux les sentiments de vie libre et d'attachement à la terre natale, pour lesquels ils devaient lutter pendant des siècles. Conserver leur indépendance, s'insurger contre toute oppression, s'opposer par la force brutale des armes à l'affaiblissement de leur petite patrie, les ont portés, dès la plus haute Antiquité, à des actes de désespoir. La conquête des Gaules par César jeta le plus grand trouble parmi les peuples santons. A mesure que s'avançaient vers l'ouest les légions romaines, tout le pays de Saintonge tressaillit d'épouvante et s'affola. Les hommes, les femmes, eurent le pressentiment qu'une calamité publique les menaçait. Eux, qui ne connaissaient pas la peur, frémirent, non de crainte, mais d'indignation.


[…] Dans l'ancienne Gaule, chaque peuplade avait sa « fada », sorte de sorcière à laquelle tout le monde accordait une confiance aveugle. On voyait en elle une fée sacrée, envoyée sur la terre par le dieu Teutatès. Elle participait aux cérémonies religieuses des druides, à la tête des prêtresses. Myrghèle, la fada des Santons, s'était retirée dans l'île d'Armotte à l'approche des soldats de César, et se cachait à Anchoine, où elle jetait des sorts et mettait le trouble dans les esprits. Une secte de druides et de druidesses s'y trouvait déjà depuis longtemps. Dans la partie la plus sauvage de l'île, sous les grands chênes, dont les feuilles se mêlaient aux boules blanches du gui, existait un cercle de hautes pierres levées entourant un dolmen. C'est là que se célébrait, de temps immémorial, le culte païen des Gaulois.

Ce dolmen, masse de pierre informe, bloc monstrueux élevé, à hauteur d'homme, sur quatre piliers de pierres frustes, avait quelque chose de sinistre. Au milieu de la table apparaissait un trou rond, et assez large pour permettre de voir un coin du ciel. C'est par ce trou que s'écoulait le sang des victimes quand se faisaient les sacrifices humains.

L'île d'Armotte, presque inconnue dans l'intérieur des terres, devait, avant de disparaître, être témoin des horreurs barbares du paganisme. Ses habitants, quelques centaines, s'adonnant à la pêche, à la chasse, à la culture des céréales, vivant dans le calme et la solitude devant une mer apaisée, abrités par une épaisse forêt, voulurent, avant de préparer la résistance contre l'envahisseur qui s'approchait, consulter leurs prêtres, leur demander aide et protection. Druides et druidesses jugèrent que c'est à la fada qu'il fallait s'adresser.

Myrghèle, cachée dans sa petite cabane d'Anchoine, était amoureuse. Celui qu'elle aimait restait insensible à ses avances et lui avoua qu'il s'était fiancé à Sylvane, la fille d'un pêcheur, dont l'amour était égal au sien. Ils devaient s'épouser bientôt. La fada voua, dès lors, à Sylvane, une haine farouche en se jurant d'empêcher le mariage. Comment ? Elle ne savait pas encore. C'est à ce moment que se tint une assemblée de druides dans la clairière du dolmen pour répondre au désir des habitants de l'île. Myrghèle était au milieu d'eux, enveloppée dans une cape gauloise d'une blancheur éclatante. Neuf druidesses, toutes vêtues de blanc, l'entouraient. Rangés en cercle, le front couronné de gui, tenant à la main une faucille d'or, les prêtres attendaient religieusement la décision de la fada sacrée. L'expression sévère de sa physionomie, la fixité de son regard d'hallucinée, la hardiesse de sa parole, allaient produire sur l'assistance une véritable fascination.

C'était le soir. Les dernières lueurs du crépuscule s'éteignaient sur la mer, la lune montait lentement dans le ciel. Il y avait quelque chose de si étrange, de si impressionnant dans ce groupe de robes blanches, immobiles sous les chênes, qu'on pouvait croire que c'étaient les ombres de la nuit, vêtues en fantômes, qui se trouvaient à un rendez-vous mystérieux dans ce coin de forêt sauvage. Montée sur une pierre grossière, près du dolmen, dominant l'assemblée, les cheveux en désordre, sa cape tombée à ses pieds, la poitrine demi-nue, Myrghèle clamait avec exaltation l'oracle des dieux. Un rayon de lune, filtrant à travers les branches, éclairait son visage transfiguré, donnait à cette femme l'aspect d'un spectre hideux.

«Ecoutez, criait l'ignoble sorcière, écoutez la voix de Teutatès qui vibre en moi. Je suis l'envoyée des dieux pour vous guider, pour vous sauver à l'heure du danger. Redressez-vous, prêtres qui m'écoutez, allez dire au peuple que Teutatès ne l'abandonnera pas, mais qu'il exige du sang, du sang pur de vierge ! Allez, et amenez ici la plus belle des vierges de l'île d'Armotte. Vous la connaissez, c'est Sylvane. Le Maître nous écoute, il faut que cette nuit même elle soit immolée sur l'autel sacré des ancêtres. Obéissez, pour conjurer les menaces du destin !»

La voix terrible se tut, brisée par un effort surhumain, par une surexcitation de folie et de haine. A cet appel farouche succéda un effroyable silence, comme si un souffle de mort venait de passer sur les bois endormis, et l'on ne perçut plus que le frôlement des robes des prêtres et des druidesses disparaissant dans les ténèbres. La fada, l'ignoble fée, restée seule au pied du dolmen, la face crispée par un rictus satanique, attendait l'heure prochaine de sa vengeance.

Minuit. La lune est maintenant voilée de gros nuages noirs. Là-bas, vers l'ouest, un grondement sourd monte du large banc de sable qui barre l'entrée de la baie d'Anchoine. Ce bruit lointain, inaccoutumé, se rapproche sous la poussée des vents du large, semble l'annonciateur d'une tempête. Dans l'obscurité, les druides rentrent sous bois, un à un, se faufilent entre les chênes, viennent ranger autour du monument celtique. Ce sont bien des fantômes, des fantômes de mort, qui marchent dans les ténèbres. Et le grondement de l'Océan se fait plus lugubre, roule vers la clairière avec une force croissante, comme si quelque ouragan, venant d'un monde inconnu, chassait devant lui des flots soulevés jusque dans leur profondeur.

Le moment tragique était arrivé. Quatre hommes, vêtus de peaux de bêtes, les cheveux incultes tombant sur leurs épaules, surgirent dans la nuit, portant une femme à demi morte, dont les gémissements auraient ému des êtres moins sauvages. La tempête faisait rage, les arbres, secoués d'un étrange frémissement, semblaient se serrer les uns contre les autres, comme pour faire plus grande la clairière maudite où le dolmen, aux contours noyés d'ombre, s'allongeait, pareil à une pierre tombale posée au-dessus de la fosse d'un géant. Trois druidesses, drapées dans leurs robes flottantes, s'avancèrent pour saisir la victime, pendant que les prêtres chantaient un psaume mystique, dont les notes se perdaient dans la nuit. Myrghèle, mue par une force supérieure, escalada le dolmen et les trois druidesses jetèrent Sylvane sur la table de granit. Avec des gestes brusques et saccadés, la fada, horrible à voir, les traits décomposés, la figure grimaçante, dévêtit brutalement la victime et, tirant un stylet de sa ceinture, s'agenouilla pour lui percer le cœur.

A la minute même où Sylvane allait être immolée, un éclair déchira le ciel, un cataclysme effroyable bouleversa l'île d'Armotte. La terre trembla, un abîme immense, monstrueux, s'ouvrit brusquement, où le dolmen et tous ceux qui l'entouraient disparurent. Les arbres s'abattirent les uns sur les autres et tombèrent dans le gouffre. La mer déchaînée montait, montait toujours, avec une violence croissante, submergeait, d'un raz de marée dévastateur, l'île entière. Au soleil levant, Anchoine n'existait plus, tous ses habitants avaient été noyés. La foudre, la tempête, l'Océan en furie s'unirent en ce temps-là pour modifier profondément la configuration du rivage. Armotte disparue, les flots eurent, par la suite, toute facilité pour aller saper, déchiqueter, et enfin abattre les rochers du Chapus.


La baie d'Anchoine allait devenir, au cours des siècles, le pertuis de Maumusson, et le territoire d'Oléron, l'île qu'ont trouvée les proconsuls romains au début de l'ère chrétienne. On voit aujourd'hui les ruines d'un dolmen à la pointe du rocher d'Ors, sur la côte d'Oléron, à une faible distance de la situation présumée de l'île d'Armotte. Si on pense aux perturbations géologiques qui ont apporté tant de changements à cette partie du littoral, il est permis de supposer que le dolmen d'Anchoine, après avoir été roulé par les flots dans les profondeurs sous-marines, s'est trouvé à la pointe d'Ors quand le niveau des eaux a baissé. N'a-t-on pas la preuve de cet abaissement dans la position actuelle des grottes de Meschers ?

Les légendes s'inscrivent en marge de l'histoire, mais elles sont, bien souvent, l'écho de traditions millénaires, ayant trouvé leur origine dans des événements ou des faits qui ne sauraient être purement imaginaires. L'existence d'Anchoine ne peut être mise en doute, non plus que celle de l'île d'Armotte et des autres îles du pays d'Arvert, devenues continentales.

Au Moyen Age, des marins ont affirmé, alors qu'ils naviguaient près de l'embouchure de la Seudre, avoir vu, par mer calme et limpide, des toitures, des crêtes de murailles presque à fleur d'eau. Ils avaient l'impression de passer au-dessus d'une petite ville immergée, tant étaient nombreuses les ruines de constructions. Encore une légende, dira-t-on ? Peut-être. Ce qui n'en est pas une, c'est l'existence actuelle du « fond d'Anchoine », près de Ronce-les-Bains, et du petit écueil de Barat, à l'embouchure de la Seudre, reste d'un îlot qui a tenu à la terre ferme et était cultivé au XIV e siècle. […]